Fin des études, à Paris (2024)

III
FIN DES ÉTUDES, A PARIS

Donc, un soir defévrier 1858, Émile Zola, âgé de dix-huit ansmoins quelques semaines, arrive à Paris où, depuis sa premièreenfance, il avait fait deux séjours, d'un an à dix-huit moischacun : le premier vers six ans, le second à onze ans.

Après lespremières effusions de l'arrivée, une fois dans l'omnibusqui déposera, 63, rue Monsieur-le-Prince, la mère, le filset le grand-père, avec leurs légers bagages -- tout ce qu'illeur reste de ce qu'ils ont possédé en Provence ! -- Émilese penche à l'oreille de sa mère.

-- Eh bien, demande-t-il?

-- Eh bien, tupourras ici continuer tes classes!... Je suis allé [sic]voir M. Labot, et il m'a promis de s'occuper de toi.

Ancien ami de FrançoisZola, M. Labot, avocat au conseil d'État, recommanda le fils àM. Désiré Nisard, alors directeur de l'École normale,et, ancien condisciple lui-même de M. Lobait. Grâce àcette haute recommandation universitaire, Émile obtint tout de suiteune « bourse » au lycée Saint-Louis. Il y continua saseconde, section des sciences (l858). Il y fit également sa rhétorique(l858-l859).

Le voilàdonc dans un lycée de Paris, en arrivant du collige d'Aix. Il yéprouva, les premiers jours, il me l'a raconté depuis, unestupéfaction profonde. Au lieu des natures provençales, deces grands gamins turbulents, ignorants et grossiers, qui étaientses condisciples dans le Midi, il trouvait de jeunes hommes précoces,pas meilleurs mais plus sérieux sous un masque d'ironie fine, selivrant moins, avec cela au courant de tout, lisant les journaux, vivantdes charmes de la cabotine en vogue. Plus âgé que la plupartde ses nouveaux condisciples, il se sentait inférieur, gauche eten retard, très intimidé. Il se produisit même unechose assez curieuse. A Aix, les loustics du collège l'avaient plaisantéautrefois sur son accent du Nord, l'appelant « franciot »et « parisien ; » maintenant, à Paris, les lycéenslui trouvaient un certain accent du Midi, et l'appelaient « marseillais.» Enfin, plus que jamais, il se sentait pauvre.

Il ne contractadonc pas de nouvelles amitiés. Il vécut au lycée Saint-Louis,sombre et ramassé sur lui-même, regrettant la Provence etson enfance si libre, pensant à chaque instant à ses anciensamis. « Ah! si Baille seulement était, ici ! Si je pouvaiscauser de cela avec Cézanne ! » D'ailleurs, il ne travaillaitpas. Ni devoirs ni leçons, rien : un cancre ! Lui, toujours le premierau collège d'Aix, c'est à peine s'il daignait encore «composer, » et, dans une classe, à la véritétrès nombreuse, il n'était plus maintenant que quinzièmeou vingtième. Excepté pourtant en narration française.Là, il était second, il était premier.

Un jour, le sujetde la narration donnée était celui-ci : Milton aveugle,dictant à sa fille aînée, tandis que sa seconde fillejoue de la harpe. J'ignore quelles fioritures de style dut broder lejeune lycéen sur ce thème académique. Mais le professeur,M. Levasseur, aujourd'hui membre de l'Académie des Sciences moraleset politiques, fut si enchanté qu'il lut la narration devant toutela classe, et fit solennellement la prédiction à l'élèveZola d'un talent futur.

Si l'élèveZola ne « s'appliquait » qu'en narration française,il lisait, en revanche, beaucoup. Dans ces classes des lycées deParis, où chaque professeur fait son cours à des cinquanteélèves échelonnés sur des gradins en amphithéâtre,l'attention et l'assiduité sont, nécessairement, facultatives.Écoute le professeur et suit la classe, qui veut. Lui, écoutaitHugo, Musset, Rabelais et Montaigne ! Ces professeurs extra-universitaireslui apprenaient en ce temps-là à aimer deux choses : d'abordla poésie romantique, fleur de jeunesse et de fantaisie, éclatanteet folle; puis, tout de suite un correctif, la belle prose française,rapide et nette, logique. Mais ces goûts littéraires contribuaienteux-mêmes à l'éloigner des exercices classiques. Ilpassait la plus grande partie des études à écrire,à ses amis de Provence, de longues, d'interminables lettres. Malgréle papier pelure, il fallait deux ou trois timbres pour les affranchir.Et, dans ces volumineuses confidences, Zola, qui souffrait d'une sortede mal du pays, racontait à Cézanne et à Baille l'ennuide la vie au lycée, l'incertitude de l'avenir, les lectures, lespremiers essais littéraires. Il y avait de tout, dans ces lettres:de la prose et des vers, de grandes pièces de vers romantiques !des larmes rentrées et des projets superbes ! des enfantillages,de la naïveté, et des éclairs de talent! surtout d'ardentesdiscussions philosophiques, morales, esthétiques, écho decelles des longues promenades des trois amis ! Au fond de ce jeune esprit,qui n'en était encore qu'à la période des vers, déjàun raisonneur et un critique s'éveillaient.

Enfin, cette interminableannée scolaire se termine. Zola n'eut que le second prix de narrationfrançaise. Pour l'encourager au travail, sa mère, toujoursindulgente, voulut lui faire passer de bonnes vacances. Au lieu de le laissers'ennuyer dans Paris, loin de ses amis Baille et Cézanne, il iravivre quelques semaines auprès d'eux, dans sa Provence regrettée.Il eut donc de belles vacances dans le Midi, deux mois de grand air, deliberté, avec les anciens camarades retrouvés. On renouvelatoutes les anciennes parties. On se baigna encore dans l'Arc, on refitles ascensions de la colline Sainte-Victoire et du Pilon-du-Roi, on retournaaux Infernets, au « Barrage, » au pont de Roquefavour. On repritles longues chasses pour rire, où l'on finissait par déchargerson fusil sur un caillou jeté en l'air. Et les lectures en commun,les grandes discussions littéraires, esthétiques, les confidences,la communication des premières productions, recommencèrent.Cette fois, Émile avait à raconter à ses deux amisdes rêves plus larges, des plans de grands poèmes, tout unensemble encore vague et confus, à débrouiller, àréaliser.

Après cesvacances délicieuses, il revint à Paris, pour la rentrée,dans les premiers jours d'octobre. Mais, comme si Paris, décidément,ne devait pas lui réussir, à peine arrivé, il tombagravement malade. Une fièvre muqueuse, très violente faillitl'emporter, et fut suivie d'une longue convalescence. Deux mois de retardpour entrer au lycée : ce qui ne devait pas contribuer àlui faire faire une bonne rhétorique.

La rhétoriquede Zola à Saint-Louis ressembla absolument à sa seconde :même regret de la Provence, même dégoût du travailuniversitaire, mêmes lectures indépendantes. Toujours de longueslettres aux camarades du Midi; toujours une ombrageuse timiditél'éloignant de toute nouvelle amitié. En discours français,pourtant, la même supériorité que l'année précédenteen narration française. Non moins perspicace que M. Levasseur, leprofesseur de rhétorique, M. Étienne, avait remarquéles discours français de l'élève Zola. Bien qu'illeur fit le reproche, sans doute mérité, d'être «trop romantiques, » il aimait à en donner lecture lui-mêmeà sa nombreuse classe, et, très agréable lecteur,il leur faisait produire un grand effet.

Enfin, nous voicien août 1859. Sa rhétorique terminée, que va fairenotre élève? Très en retard pour son âge --dix-neuf ans sonnés! -- sans un sou de fortune, ayant hâtede se faire une position et de soutenir sa mère à son tour,il saute « la philosophie, » et se décide à affrontertout de suite l'épreuve du baccalauréat ès sciences.

Le baccalauréat!Quel dédain pour ce mot, dès ce temps-là, et pourles diplômes en général, et pour toutes les distinctionsuniversitaires, académiques, sociales. On trouve déjà,chez Zola, un révolutionnaire d'instinct, qui descend au fond deschoses, disposé à ne s'incliner que devant le talent original.Mais, en même temps, grâce à un heureux équilibre,à côté du révolté, il y a en lui le raisonnable: résigné, capable de toutes les souplesses, merveilleusem*ntapte à mettre en oeuvre l'élan et le ressort, dont il estredevable à l'autre moitié de sa nature. Ainsi, dans ce casparticulier du baccalauréat, le matin ou il arrivait à laSorbonne pour les épreuves écrites, je m'imagine le voir: au fond très calme, indifférent, acceptant le résultatquelconque, mais à la surface un peu ému, un peu tremblant,ayant sur la conscience de n'avoir rien fait depuis dix-huit mois, se sentanttrès mal préparé, redoutant enfin un insuccèsprobable, presque certain, qui affligera sa mère.

Alors, qu'arrive-t-il?ce qui arrive neuf fois sur dix en matière d'examen et de concourspublic : de l'imprévu, de l'illogique et du grotesque. Reconstituezla petite tragi-comédie suivante.

Le soir du jourdes épreuves écrites, le candidat bachelier se couche avecla conviction d'avoir fait une version très médiocre et dene pas avoir trouvé la solution juste de ses problèmes. Lelendemain matin, à son réveil, une lâcheté leprend. Pourquoi ne pas rester bien chaudement dans son lit, au lieu derisquer une course inutile? Il se décide pourtant à se lever,va à tout hasard à la Sorbonne, consulte la liste des candidats« reçus à l'écrit : » quel n'est pas sonétonnement de se voir le second sur cette liste ! Il n'a donc plusqu'à soutenir l'épreuve orale, une bagatelle. Son tour arrive.D'abord, la partie scientifique : superbe! Physique et chimie, histoirenaturelle : très bien ! Mathématiques pures, algèbreet trigonométrie: bien! Boules blanches sur boules blanches ! Déjàle succès de l'examen est hors de doute. Ce ne peut plus êtrequ'une question de « mention. » Zola adresse un clignementd'oeil à un camarade, qui se lève, quitte la salle d'examen,et court annoncer le triomphe à la mère. Enfin, il arrivedevant le dernier professeur, chargé, celui-ci, d'interroger surles langues vivantes et sur la littérature.

-- Voyons ! d'abord,un peu d'histoire, dit l'examinateur... Veuillez me dire, monsieur, ladate de la mort de Charlemagne.

Zola, visiblementtroublé, hésite, et finit par balbutier une date. Il ne setrompait que de cinq cents ans. Il faisait mourir Charlemagne, sous lerègne de François Ier.

--Passons àla littérature, dit sèchement le professeur.

Et il lui demandel'explication d'une fable de La Fontaine. Ce professeur et Zola ne pensaientsans doute pas de même en littérature, car le premier ouvraitdes yeux de plus en plus irrités, à mesure que l'autre expliquaitLa Fontaine comme il le sentait, sans doute avec des vues très romantiques.

--Passons àl'allemand, dit-il de plus en plus sèchement.

Ici, le candidat,d'une réelle ignorance en langues vivantes, ne peut même paslire le texte allemand. Alors, le professeur hausse les épaules.

--Cela suffit,monsieur!

L'examen oral estterminé, et, penchés à l'oreille les uns des autres,ces messieurs délibèrent. La délibération estlongue. Les professeurs de sciences, encore émerveillés dela lucidité d'esprit, de la netteté de déduction ducandidat, intercèdent pour lui, conjurent leur collègue dene pas maintenir la note « nul » qui entraînait de pleindroit l'ajournement. Mais leurs efforts furent vains : le professeur debelles lettres maintint la note. Que n'ai-je le temps, aujourd'hui, d'allerfouiller au fond des archives universitaires ! J'aurais voulu livrer aupublic le nom du héros qui, lui, tout seul, refusa au baccalauréatl'auteur des Rougon-Macquart, pour l'avoir trouvé «nul » en littérature.

Cet échecn'empêcha pas Zola d'aller, comme l'année précédente,passer de bonnes vacances dans le Midi. Huit jours après, en blouseet en gros souliers, le carnier sur l'épaule, il courait de nouveaudans les collines avec Baille et Cézanne, à huit cents kilomètresde Paris, à mille lieues de l'Université. Cependant, lesvacances écoulées, l'idée lui vint de faire un nouveleffort, de rapporter de Provence ce malencontreux morceau de parcheminqu'il n'avait pu conquérir à Paris. Il prolongea donc sonséjour de quelques semaines, travailla, et se représentaà la session de novembre, à Marseille. Cette fois, lui qui,à Paris, où les classes sont plus fortes, avait étéreçu le second, à « l'écrit, » ne passamême pas la première épreuve. Décidément,c'était une fatalité : il ne serait jamais diplômé!Pas plus que, vingt ans plus tard, décoré! De retour àParis, il ne rentra pas au lycée. Nous sommes en novembre 1859.Le fruit sec avait vingt ans, moins quatre mois. Et, sans avoir passécomme les autres par la porte large qui, dit-on, mène à tout,il se trouvait maintenant devant la vie, en face de sévèresréalités.

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